Aujourd'hui, on est
"méritant"
:
- quand on possède ou amasse beaucoup d'argent (selon une
culture communément appréciée comme
classique en
Amérique du Nord, par exemple )
- ou encore, à un
niveau plus conceptuel et plus stratégique, quand on est en
position d'inciter
(et si possible de
contraindre) les autres à "travailler".
Pour
atteindre cette "méritocratie",
tous les moyens sont bons.
Passons sur le cas de ces
Industriels qui n'hésitent pas
à vouloir mettre
en concurrence :
-les salariés d'un pays qui se veut
démocratique (notre Hexagone) ...
avec, ailleurs, - une
'main d'oeuvre' assouplie par l'autoritarisme
notoire de ses
Autorités nationales. ...
C'est le principe de
cette 'méritocratie', avancé comme valeur morale
par
ceux qui prétendent à une autorité
légitime,
qui nous intéresse ici.
Qui ne voit pas à quoi
se résument nos consultations
électorales ?
Une fois élus - ou désignés
(voire nommés) - nos Représentants
ont
maintenant tendance à faire la leçon au reste de
la
population :
« - Nous avons su réussir
à
devenir vos chefs; - vous avez eu, vous aussi, les chances
pour être à notre place; - mais vous n'y
êtes pas
!
- Donc, nous sommes plus
méritants que vous
! - Il ne vous reste plus qu'à nous regarder vous mener, -
et
à nous suivre ! Prenez-en de la graine ! »
Bien sûr,
les as de la rhétorique ne s'expriment pas aussi
crûment
! Mais, n'est-ce pas ce que leurs actes, ce que leur exercice du
Pouvoir, nous laisse trop souvent entendre ?
Eh bien, osons
prétendre ici que cette attitude de nos
Représentants
repose sur une faute de logique tout à
fait
fondamentale :
Il ne faut pas oublier que c'est au nom d'un idéal
de démocratie que les citoyens (votants ou pas !!)
acceptent le résultat des urnes !
« Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale; et nous recevons encore chaque membre comme partie indivisible du tout.» |
Un citoyen (au sens de Rousseau) qui
n'aurait voulu ni d'un candidat, ni de ses idées, ni de son
"programme électoral", doit se faire
violence
pour accepter tout de même ce candidat,dès que le
scrutin l'a désigné, comme son
Représentant
officiel ...
Cette acceptation ( multipliée par le
pourcentage, hélas non mesuré, d'habitants
(*note 1) :
- qui n'ont pas voté
pour ce candidat - et susceptibles de n'avoir pas non plus
souhaité
le suivre),
ce renoncement à d'autres souhaits
individuels, ce renoncement-sacrifice massivement
répété,
n'est-il pas la vraie valeur et la vraie victoire du scrutin ?
Cette
capacité d'un peuple à savoir, individuellement,
faire
le dos rond, ne témoigne-t-elle pas d'un degré
avancé
de civilisation et de savoir vivre collectif ? N'est-elle pas le vrai
mérite du pays ?
Qui saurait avoir la prétention
de savoir à quel moment il y a plus de mérite
à
endosser la place du chef ... qu'à savoir
reconnaître
l'autorité de la « volonté
générale
» à travers des individus particuliers quand les
accointances avec ceux-là peuvent être
très
réservées ?
Demander de reconnaître un
mérite-érigé-en-exemple à
ceux qui ont su
se faire désigner chef à un instant 't', ce
serait donc
faire fi du mérite qu'il y a à savoir accepter
l'autorité de la volonté
générale.
Si
la recherche active et sincère d'une mesure continue de la
«
volonté générale », si une
telle
recherche, attentive, selon
plusieurs échelles
de temps, ne s'ensuit pas, cela risquerait bien
aussi de
ressembler fortement à un mépris de la
qualité
culturelle d'un peuple capable de croire à la
démocratie
: qualité confondue avec une naïveté
stupide.
Et
c'est là que se situe l'incohérence
annoncée par
le titre de ce texte.
Car, mépriser les valeurs
(démocratiques notamment) sur lesquelles on s'appuie pour
faire valoir une autorité légitime, ce serait
mépriser
sa propre autorité : ce serait se contenter d'une
autorité
d'apparat, usurpée !
Ne pas avoir conscience de cette incohérence serait, pour ceux qui en usent, ... le contaire du mérite !
En avoir conscience, ne serait par contre qu'une posture de cynisme, elle-même incohérente :
pourrait-on se vanter du mérite d'être incohérent et fier de l'être ?
Les chefs ont-ils alors la
légitimité
de vouloir peser sur les « valeurs » du peuple ? Ou
de
penser pour ce peuple ?
N'est-ce pas grâce aux valeurs déjà
présentes chez ce peuple qu'ils ont obtenu
le pouvoir ?
Qui prouve qu'avec les valeurs qu'ils voudraient inculquer, ces
chefs auraient obtenu ce pouvoir ?
( Pour garder le Pouvoir avec
de nouvelles «valeurs» inculquées au
peuple, sans
doute faudrait-il aussi infléchir son idéal ...
mais
attention, si 'infléchir' se déclinait en 'affadir'
, quelle acception du 'mérite' les historiens
d'après
consentiraient ils à l'exercice de ce Pouvoir ? )
Et
que dire du mérite à vouloir penser pour le
peuple
?
D'abord, quoi de plus commun que d'avoir des
idées ?
... et même de bonnes idées !
Archimède,
Léonard de Vinci, ... avaient d'excellentes idées
à
foison et ont prouvé qu'ils savaient penser.
S'ils
n'ont pas eu l'idée d'appliquer leurs
efforts cérébraux
à l'exercice d'accaparer le pouvoir politique, cela
place-t-il
leur mérite dans une catégorie
inférieure ?
(
Le vrai mérite du citoyen qui sait fermer sa bouche, c'est
dommage pour Archimède qu'il ne l'ait pas eu quand le soldat
est venu faire de l'ombre sur ses cercles ...! ;-)
Qui
sait les trouvailles dont il aurait encore pu faire profiter ses
congénères ? )
Bien sûr, quoi de plus commun
qu'un ingénieur ? Et même, quoi de plus commun
qu'un
Chercheur ? Il suffit semble-t-il de dénombrer leur effectif
en France pour se rendre compte à quel point l'unicité
du
Ministère dont ils dépendent rend les dignitaires
de ce
Ministère infiniment plus méritants
que
n'importe quel administré ?
Sauf que si les Chercheurs
ou si les ingénieurs, ou même seulement si les
techniciens, ou même uniquement celles et ceux de leur
entourage intime, arrêtent de penser ... jusqu'à
la
prochaine campagne électorale, dans une vraie
démocratie,
le mérite des dignitaires risque bien d'en prendre un coup
dans l'aile !
Note 1 :
on ne retient souvent d'un scrutin électoral que le
pourcentage des points obtenus par l'élu par rapport
à
son principal adversaire.
Par abus de rhétorique, ce
pourcentage est alors cité comme « pourcentage des
Français » : ce qui est bien
évidemment faux
!
Même le pourcentage des électeurs
inscrits
ayant voté pour l'élu, ne serait pas le
pourcentage
'des Français' : les jeunes, les non-votants ... sont aussi
des Français. On n'a pas le droit d'extrapoler un
pourcentage
qui ne peut être mesuré.
Note 2 :
- pertinence
et conscience des choix de priorités accordés par
l'Homme d'aujourd'hui ? religion du progrès ?
... « A mesure que la nature lui résiste moins, l’homme trouve devant lui l’homme ; ses prétentions croissent encore plus vite que ses capacités, et c’est dans le triomphe sur ses semblables qu’il espère trouver la consécration la plus éclatante de sa valeur. En même temps, le progrès faisant consister toute notre activité dans des efforts concertés, notre vie se passe à substituer au travail proprement dit un effort pour stimuler autrui, ce qui a pour condition un état d’irritation et de mécontentement chroniques. ... » ... <= voir : "bulletin critique des sciences, des technologies et de la société industrielle"
Note
3 :
il
faudrait prendre le temps ici de disserter sur l'urgence de reposer
la problématique du temps dans la conduite des choses
publiques et politiques.
Le système actuel des
mandats électoraux constitue un handicap structurel majeur
à
la construction ne serait-ce que d'une
représentation
mentale pertinente des enjeux Républicains et
démocratiques
...
A moins d'être un saint, (et encore ?), pourquoi un
élu,
dès qu'il n'espère plus un futur mandat, se
sacrifierait-il ( ... ou sacrifierait-il l'idée qu'il peut
se
faire de sa gloire posthume ...) pour des objectifs qui ne le
concerneront plus ? ...
[ suite possible ... pour développer
l'idée d'une prise en compte structurelle de plusieurs
échelles de temps :
prospective à
1 an / prospective à 5 ans / prospective
à
50 ans / ... nécessité de prospectives
déjà
touchées du doigts par ceux qui se vouent à la
technique ... même à niveau peu
élevé ...
]