... On ne peut pas comprendre que, sur des corps si mutilés, il y ait encore des visages humains, dans lesquels la vie suit son cours quotidien. Et, cependant, ce n'est là qu'un
seul centre médical; il y en a des centaines de mille en Allemagne, des centaines de mille en France, des centaines de mille en Russie.
Puisque pareille chose est possible, combien tout ce qu'on a jamais écrit, fait ou pensé est vain !
Tout n'est forcément que mensonge ou insignifiance, si la culture de milliers d'années n'a même pas pu empêcher que ces flots de sang soient versés et qu'il existe, par centaines de mille, de telles geôles de torture.
Seul l'hôpital montre bien ce qu'est la guerre.
Je suis jeune, j'ai vingt ans; mais je ne connais de la vie que le désespoir, l'angoisse, la mort et l'enchaînement de l'existence la plus superficielle et la plus insensée à un abîme de souffrances. Je vois que les peuples sont poussés l'un contre l'autre et se tuent sans rien dire, sans rien savoir, follement, docilement, innocemment.
Je vois que les cerveaux les plus intelligents de l'univers inventent des paroles et des armes pour que tout cela se fasse d'une manière encore plus raffinée et dure encore plus longtemps. Et, tous les hommes de mon âge, ici et de l'autre côté, dans le monde entier, le voient comme moi ; .... Que feront nos pères si, un jour, nous nous levons et nous nous présentons devant eux pour réclamer des comptes ?
Qu'attendent-ils de nous lorsque viendra l'époque où la guerre sera finie ?