- Qui désigner comme Che à partir de ce 21 mars 2010, jour de vote ? - Pourquoi pas : Vous-même ! ...
Le Chi d'or, vous le savez bien au fond : c'est chacun de nous-même.
En ce 2e jour de printemps un peu maussade, où l'on ne
voudrait pas sortir, de peur de donner l'illusion au voisin qu'on est
parti voter ... cher internaute, je te propose ici un peu de lecture :
quelques extraits de :
-
« Discours de la servitude volontaire» par Etienne de La Boétie
- ou de : « la grève des électeurs » ( tu verras bien de qui ! )
Extraits de :
« Discours de la servitude volontaire» par
Etienne de La Boétie ( →
texte intégral ← )
...
... Pour le moment, je voudrais seulement comprendre comment il se peut que
tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations
supportent quelquefois un tyran seul qui n’a de puissance que celle
qu’ils lui donnent, qui n’a pouvoir de leur nuire qu’autant qu’ils
veulent bien l’endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal s’ils
n’aimaient mieux tout souffrir de lui que de le contredire.
....
Appellerons-nous vils et couards ces hommes soumis ? Si deux, si trois,
si quatre cèdent à un seul, c’est étrange, mais toutefois possible ; on
pourrait peut-être dire avec raison : c’est faute de cœur. Mais si
cent, si mille souffrent l’oppression d’un seul, dira-t-on encore
qu’ils n’osent pas s’en prendre à lui, ou qu’ils ne le veulent pas, et
que ce n’est pas couardise, mais plutôt mépris ou dédain ?
.....
Mais ce qui arrive, partout et tous les jours : qu’un homme seul en
opprime cent mille et les prive de leur liberté, qui pourrait le
croire, s’il ne faisait que l’entendre et non le voir ? Et si cela
n’arrivait que dans des pays étrangers, des terres lointaines et qu’on
vînt nous le raconter, qui ne croirait ce récit purement inventé ?
......
Or ce tyran seul, il n’est pas besoin de le combattre, ni de l’abattre.
Il est défait de lui-même, pourvu que le pays ne consente point à sa
servitude. Il ne s’agit pas de lui ôter quelque chose, mais de ne rien
lui donner. Pas besoin que le pays se mette en peine de faire rien pour
soi, pourvu qu’il ne fasse rien contre soi. Ce sont donc les peuples
eux-mêmes qui se laissent, ou plutôt qui se font malmener, puisqu’ils
en seraient quittes en cessant de servir. C’est le peuple qui
s’asservit et qui se coupe la gorge ; qui, pouvant choisir d’être
soumis ou d’être libre, repousse la liberté et prend le joug ; qui
consent à son mal, ou plutôt qui le recherche...
.....
comme le feu d’une petite étincelle grandit et se renforce toujours, et
plus il trouve de bois à brûler, plus il en dévore, mais se consume et
finit par s’éteindre de lui-même quand on cesse de l’alimenter, de
même, plus les tyrans pillent, plus ils exigent ; plus ils ruinent et
détruisent, plus où leur fournit, plus on les sert. Ils se fortifient
d’autant, deviennent de plus en plus frais et dispos pour tout anéantir
et tout détruire. Mais si on ne leur fournit rien, si on ne leur obéit
pas, sans les combattre, sans les frapper, ils restent nus et défaits
et ne sont plus rien, de même que la branche, n’ayant plus de suc ni
d’aliment à sa racine, devient sèche et morte.
....
Ce désir, cette volonté commune aux sages et aux imprudents, aux
courageux et aux couards, leur fait souhaiter toutes les choses dont la
possession les rendrait heureux et contents. il en est une seule que
les hommes, je ne sais pourquoi, n’ont pas la force de désirer : c’est
la liberté, bien si grand et si doux ! Dès qu’elle est perdue, tous les
maux s’ensuivent, et sans elle tous les autres biens, corrompus par la
servitude, perdent entièrement leur goût et leur saveur. La liberté,
les hommes la dédaignent uniquement, semble-t-il, parce que s’ils la
désiraient, ils l’auraient ; comme s’ils refusaient de faire cette
précieuse acquisition parce qu’elle est trop aisée.
Pauvres gens misérables, peuples insensés, nations opiniâtres à votre
mal et aveugles à votre bien ! Vous vous laissez enlever sous vos yeux
le plus beau et le plus clair de votre revenu, vous laissez piller vos
champs, voler et dépouiller vos maisons des vieux meubles de vos
ancêtres ! Vous vivez de telle sorte que rien n’est plus à vous. Il
semble que vous regarderiez désormais comme un grand bonheur qu’on vous
laissât seulement la moitié de vos biens, de vos familles, de vos vies.
Et tous ces dégâts, ces malheurs, cette ruine, ne vous viennent pas des
ennemis, mais certes bien de l’ennemi, de celui-là même que vous avez
fait ce qu’il est, de celui pour qui vous allez si courageusement à la
guerre, et pour la grandeur duquel vous ne refusez pas de vous offrir
vous-mêmes à la mort. Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains,
un corps, et rien de plus que n’a le dernier des habitants du nombre
infini de nos villes.
.....
Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres. Je ne vous
demande pas de le pousser, de l’ébranler, mais seulement de ne plus le
soutenir, et vous le verrez, tel un grand colosse dont on a brisé la
base, fondre sous son poids et se rompre.
Les médecins conseillent justement de ne pas chercher à guérir les
plaies incurables, et peut-être ai-je tort de vouloir ainsi exhorter un
peuple qui semble avoir perdu depuis longtemps toute connaissance de
son mal - ce qui montre assez que sa maladie est mortelle. Cherchons
donc à comprendre, si c’est possible, comment cette opiniâtre volonté
de servir s’est enracinée si profond qu’on croirait que l’amour même de
la liberté n’est pas si naturel.
......
comment douter alors que nous ne soyons tous naturellement libres,
puisque nous sommes tous égaux ? Il ne peut entrer dans l’esprit de
personne que la nature ait mis quiconque en servitude, puisqu’elle nous
a tous mis en compagnie.
À vrai dire, il est bien inutile de se demander si la liberté est
naturelle, puisqu’on ne peut tenir aucun être en servitude sans lui
faire tort : il n’y a rien au monde de plus contraire à la nature,
toute raisonnable, que l’injustice. La liberté est donc naturelle ;
c’est pourquoi, à mon avis, nous ne sommes pas seulement nés avec elle,
mais aussi avec la passion de la défendre.
.....
Il y a trois sortes de tyrans.
Les uns règnent par l’élection du peuple, les autres par la force des armes, les derniers par succession de race.
.... Pour dire vrai, je vois bien entre ces tyrans quelques différences,
mais de choix, je n’en vois pas : car s’ils arrivent au trône par des
moyens divers, leur manière de règne est toujours à peu près la même.
Ceux qui sont élus par le peuple le traitent comme un taureau à
dompter, les conquérants comme leur proie, les successeurs comme un
troupeau d’esclaves qui leur appartient par nature.
.....
Car pour que les hommes, tant qu’ils sont des hommes, se laissent
assujettir, il faut de deux choses l’une : ou qu’ils y soient
contraints, ou qu’ils soient trompés.
....
Il est incroyable de voir comme le peuple, dès qu’il est assujetti,
tombe soudain dans un si profond oubli de sa liberté qu’il lui est
impossible de se réveiller pour la reconquérir : il sert si bien, et si
volontiers, qu’on dirait à le voir qu’il n’a pas seulement perdu sa
liberté mais bien gagné sa servitude.
.....
Mais l’habitude, qui exerce en toutes choses un si grand pouvoir sur
nous, a surtout celui de nous apprendre à servir ..... Nul
doute que la nature nous dirige là où elle veut, bien ou
mal lotis,
mais il faut avouer qu’elle a moins de pouvoir sur nous que l’habitude.
.....
La nature de l’homme est d’être libre et de vouloir l’être, mais il
prend facilement un autre pli lorsque l’éducation le lui donne.
Disons donc que, si toutes choses deviennent naturelles à
l’homme lorsqu’il s’y habitue, seul reste dans sa nature celui qui ne
désire que les choses simples et non altérées. Ainsi la première raison
de la servitude volontaire, c’est l’habitude. ....
....
la première raison pour laquelle les hommes servent volontairement,
c’est qu’ils naissent serfs et qu’ils sont élevés comme tels. De cette
première raison découle cette autre : que, sous les tyrans, les gens
deviennent aisément lâches et efféminés.
.....
Mais les gens soumis, dépourvus de courage et de vivacité, ont le cœur
bas et mou et sont incapables de toute grande action. Les tyrans le
savent bien. Aussi font-ils tout leur possible pour mieux les avachir.
.....
Cette ruse des tyrans d’abêtir leurs sujets n’a jamais été plus évidente que ....
Ces misérables s’amusèrent à inventer toutes sortes de jeux si bien
que, de leur nom même, les Latins formèrent le mot par lequel ils
désignaient ce que nous appelons passe-temps, qu’ils nommaient Ludi,
par corruption de Lydi.
....
Mais ils ne font guère mieux ceux d’aujourd hui qui, avant de commettre
leurs crimes les plus graves, les font toujours précéder de quelques
jolis discours sur le bien public et le soulagement des malheureux. On
connaît la formule dont ils font si finement usage ; mais peut-on.
parler de finesse là où il y a tant d’impudence ?
.......
n’est-il pas clair que les tyrans, pour s’affermir, se sont efforcés
d’habituer le peuple, non seulement à l’obéissance et à la servitude
mais encore à leur dévotion ?
......
Ce ne sont pas les bandes de gens à cheval, les compagnies de
fantassins, ce ne sont pas les armes qui défendent un tyran, mais
toujours (on aura peine à le croire d’abord, quoique ce soit l’exacte
vérité) quatre ou cinq hommes qui le soutiennent et qui lui soumettent
tout le pays. Il en a toujours été ainsi : cinq ou six ont eu l’oreille
du tyran et s’en sont approchés d’eux-mêmes, ou bien ils ont été
appelés par lui pour être les complices de ses cruautés, les compagnons
de ses plaisirs, les maquereaux de ses voluptés et les bénéficiaires de
ses rapines. Ces six dressent si bien leur chef qu’il en devient
méchant envers la société, non seulement de sa propre méchanceté mais
encore des leurs. Ces six en ont sous eux six cents, qu’ils corrompent
autant qu’ils ont corrompu le tyran. Ces six cents en tiennent sous
leur dépendance six mille, qu’ils élèvent en dignité. Ils leur font
donner le gouvernement des provinces ou le maniement des deniers afin
de les tenir par leur avidité ou par leur cruauté, afin qu’ils les
exercent à point nommé et fassent d’ailleurs tant de mal qu’ils ne
puissent se maintenir que sous leur ombre, qu’ils ne puissent
s’exempter des lois et des peines que grâce à leur protection. Grande
est la série de ceux qui les suivent. Et qui voudra en dévider le fil
verra que, non pas six mille, mais cent mille et des millions tiennent
au tyran par cette chaîne ininterrompue qui les soude et les attache à
lui, ...
......
Au dire des médecins, bien que rien ne paraisse changé dans notre
corps, dès que quelque tumeur se manifeste en un seul endroit, toutes
les humeurs se portent vers cette partie véreuse. De même, dès qu’un
roi s’est déclaré tyran, tout le mauvais, toute la lie du royaume, je
ne dis pas un tas de petits friponneaux et de faquins qui ne peuvent
faire ni mal ni bien dans un pays, mais ceux qui sont possédés d’une
ambition ardente et d’une avidité notable se groupent autour de lui et
le soutiennent pour avoir part au butin et pour être, sous le grand
tyran, autant de petits tyranneaux.
.....
C’est ainsi que le tyran asservit les sujets les uns par les autres. Il
est gardé par ceux dont il devrait se garder, s’ils valaient quelque
chose. Mais on l’a fort bien dit : pour fendre le bois, on se fait des
coins du bois même ; ...
....
Quand je pense à ces gens qui flattent le tyran pour exploiter sa
tyrannie et la servitude du peuple, je suis presque aussi souvent ébahi
de leur méchanceté qu’apitoyé de leur sottise.
....
Mais ils veulent servir pour amasser des biens : comme s’ils pouvaient
rien gagner qui fût à eux, puisqu’ils ne peuvent même pas dire qu’ils
sont à eux-mêmes.
.....
Ces favoris devraient moins se souvenir de ceux qui ont gagné beaucoup
auprès des tyrans que de ceux qui, s’étant gorgés quelque temps, y ont
perdu peu après les biens et la vie.
.....
En vérité, quelle amitié attendre de celui qui a le cœur assez dur pour
haïr tout un royaume qui ne fait que lui obéir, et d’un être qui, ne
sachant aimer, s’appauvrit lui-même et détruit son propre empire ?
......
Mais les favoris d’un tyran ne peuvent jamais compter sur lui parce
qu’ils lui ont eux-mêmes appris qu’il peut tout, qu’aucun droit ni
devoir ne l’oblige, ....
.....
Mais supposons encore que ces mignons échappent aux mains de celui
qu’ils servent, ils ne se sauvent jamais de celles du roi qui lui
succède.
......
Quelle peine, quel martyre, grand Dieu ! Être occupé nuit et jour à
plaire à un homme, et se méfier de lui plus que de tout autre au monde.
.....
oilà la gloire, voilà l’honneur qu’ils recueillent de leurs services
auprès des gens qui, s’ils pouvaient avoir chacun un morceau de leur
corps, ne s’estimeraient pas encore satisfaits, ni même à demi consolés
de leur souffrance. Même après leur mort, leurs survivants n’ont de
cesse que le nom de ces mange-peuples ne soit noirci de l’encre de
mille plumes, et leur réputation déchirée dans mille livres. Même leurs
os sont, pour ainsi dire, traînés dans la boue par la postérité, comme
pour les punir encore aprés leur mort de leur méchante vie.